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Anne

Pourquoi les guerres ?

Pourquoi l’hybris ?

Contre qui contre quoi

Contre vous contre les autres

Ceux qui savent ceux qui ne savent pas

Ceux qui font mal

Ceux qui enterrent

Ceux qui déterrent la hache

Les belliqueux les bellâtres

Ceux qui se paient en femmes

 

Les femmes champ de bataille

Le butin du corps des femmes

Les laisses des cheveux des femmes

Les fontaines des seins des femmes

Où se pendent les guerriers assoiffés

Les femmes de main en main

Des caisses qu’on marchande

Des beautés sanglantes

 

Mais ici le héros aime un homme

Une histoire d’amour mâle

Résout donc le siège de Troie

Achille aime Patrocle

Et ne supporte pas sa perte

 

Les femmes on se les prête

On se les vole se les refile les renifle

On en veut on en veut plus

On en change parce qu’elles flétrissent

Et la beauté renaît sous une peau fraîche

Autre nom autre teinte de cheveux

 

Mais l’ami essentiel

Celui qui soutient le héros panaché

Celui-là est irremplaçable

Celui-là ne peut être pleuré

Ce seul être manque et tout est dépeuplé

Voici le talon d’Achille et sa seule humanité

 

Voilà qui donne matière au rêve

L’envie de tout renverser

Pour cette valeur-là

Celle de l’unicité

Celle des irremplaçables

Celle des être essentiels

Nul bétail à désir

Pas de bibelots à étalage

D’alanguies aux yeux de génisses

 

Jamais on ne lit un texte pour ce qu’il est

On le lit avec les lunettes du jour

On le lit avec les relents de l’histoire

Aujourd’hui je dis que le massacre écœure

Que l’inventaire des veuves dégrise la poésie

Que révulse l’exaltation des exploits guerriers

Que les paris pris sur des corps meurtris

Eloignent de l’aède antique

 

Alors oui la violence oui le feu

Oui les fleuves charriant boue et cadavres

Oui la folie destructrice ça existe

Cela fut et sera

Mais quoi ?

Il n’y a pas que ça

Il ne peut y avoir que ça dans l’humain et son histoire

 

Ailleurs, autrement

Sinon la vie ne vaut rien

On la laisse au seuil de soi

Saute du pont se jette sous le train se tire une balle

Tue son voisin écrase les vieux égorge les bambins

Et répète à quoi bon ?

 

A quoi bon prononcer le mot mère – en turc « anne »

L’entendre sur les places de jeux d’aujourd’hui

Le répandre sur les champs de batailles d’hier

A quoi bon ?

 

Odile Cornuz, février 2018