Vers l’inépuisable

Une perspective sur la création d’Amour et Psyché

De quoi parle-t-on ? De théâtre, de mise en scène, d’aventure humaine. Comment en parle-t-on ? Au moyen de symboles, de mots et d’images. Qui traverse cette expérience ? Un individu, pour commencer, ici nommé Omar Porras. Il lance une idée, engrange des désirs, enfin les partage. Il rencontre un texte, puis d’autres individus de chair et d’os – le premier cercle, ceux qui impriment son impulsion au rituel, travaillent la matière. Une histoire prend alors forme dans l’espace – ou plutôt elle crée des espaces multiples, aptes à soutenir le sens des événements. Désormais, une équipe rêve un lieu après avoir partagé un conte, rencontré des personnages. Cela se traduit en scénographie, en sons et lumières, en effets spéciaux, en costumes, perruques et maquillages… Les comédiens, quant à eux, lisent et mémorisent des vers. Leurs corps frémissent.

Un individu, de la dissémination d’idées, une histoire racontée encore et encore, enfin une double équipe de création qui se dispose à occuper l’endroit et l’envers du plateau : voici l’état des lieux avant d’entrer en répétitions. C’est alors que le compte à rebours se déclenche : il est temps de creuser la langue et les images, d’imprimer aux entrées et aux sorties des personnages une dynamique, de chorégraphier un ensemble, de s’approprier le conte qui se déploie désormais pour épouser toutes les dimensions du plateau. Il s’agit de saisir les instants de grâce – et pour certains, de les fixer – d’atteindre une forme de magie inusable, non d’acier inoxydable, mais plutôt chargée d’une vie telle qu’elle ne saurait s’épuiser. Voici une des qualités essentielles du travail d’Omar Porras avec ses comédiens : il mobilise chaque faculté en présence, cherche à saisir l’intensité en tout. L’acteur réapprend à respirer, à marcher, à parler, pour trouver la « petite musique » de son personnage. Il dépasse l’état ordinaire de son corps afin que tout mouvement soit mû par une énergie extraordinaire. Le corps rigoureux, ainsi mis en tension, porte le verbe avec précision. Les comédiens sont accompagnés, soutenus, comme le seraient des alpinistes encordés pour une expédition au sommet.

De l’autre côté de la membrane du temps, le public n’est jamais oublié durant le processus de création. S’il y a bien un individu déclencheur, pourvu de tout son imaginaire, entouré de toute une équipe artistique, ceux qui assisteront au spectacle ont déjà leur place durant les répétitions. Leur présence est pensée en termes de compréhension, d’accueil et de générosité.

Dans ce spectacle, Omar Porras érige un hommage aux mythes et une apologie du théâtre, entouré de fidèles compagnons d’aventure. Le metteur en scène travaille par couches, lie ou dénoue les éléments surgis là, dépouille une image pour en garder l’essence. Il esquisse une danse du plateau, destinée à des corps poétiques. Les comédiens en constituent la part la plus visible, mais les techniciens sont également essentiels pour atteindre à cette qualité d’enluminure, de tableau ô combien vivant. Monter un tel spectacle exige tout ensemble des qualités de funambule, d’horloger et de marathonien, nécessite de l’ouverture d’esprit, de la verve, de l’énergie, de l’ambition – mais surtout une philosophie de travail, celle du dépassement de soi. En bref, une fois la limite atteinte : aller au-delà – voici le point de départ. Le reste se tient suspendu dans l’instant de la représentation, dans l’alchimie d’un théâtre qui explore l’état du sacré aujourd’hui.

Mars 2017