Sombre semeur.

M’as-tu lancé un sort, comme ces matrones qui portent sur telle ou tel le mauvais œil ? Comment s’en défaire ? Pratiquer les rites, dire les paroles transmises de génération en génération, dans le dialecte de la montagne ? Il faut encore trouver l’héritier, l’amadouer, lui faire comprendre qu’à part lui personne ne peut me sauver de cette malédiction ancienne. Trouver porte close. Attendre sur le seuil. Quelqu’un passe. Le soleil tape. Quelqu’un repasse. S’arrête. Jauge la forme recroquevillée près du sol. Se remet en route. Revient en arrière. Parle, enfin. Que fais-tu assise sur ce seuil ? Je me le demande aussi. Personne ne vit là depuis des années. Je cherche celui qui doit être ici. Comment s’appelle-t-il ? Mon sauveur. Lève-toi. Est-ce vous ? Moi je suis vieux. Ça ne me gêne pas. Le vieux prend mes mains et les scrute. Sauve-toi. Comment ? Sauve-toi et le reste. Ça prendra le temps que ça prendra. Tu ne trouveras personne d’autre ici. Personne ne viendra te parler. Les gens ne s’arrêtent plus aux seuils des portes. Ils ne se baissent plus pour parler aux accroupis. Sauve-toi. Sinon. Sinon quoi ? Tu recevras des coups. Il a raison le vieux. Je me suis sauvée.

Extrait de Ma Ralentie, recueil de prose poétique appuyé sur Henri Michaux, inédit.