Quelqu’un n’est plus fatigué.

Pour toi, tu l’as déjà dit, la fatigue n’existe plus. Elle n’est plus à prendre en considération. C’est une donnée négligeable, un plus petit dénominateur commun. Nous sommes humains. Nous sommes fatigués. Tout le monde le sait. Pas la peine de le répéter. On saute dessus à pieds joints (notre humanité, notre fatigue) pour voir ce qui se trouve au-delà, lorsqu’on s’y soustrait. Qu’est-ce qui surnage ? Beaucoup d’incertitude ; comme quand on arrête de parler du temps qu’il fait à chaque fois qu’on ne sait pas quoi dire. Ça fait des blancs dans la parole, des trous, des silences, des envies d’étrangler ceux qui disent un ange passe – parce que les anges ne passent pas. Les anges effleurent de leurs ailes rugueuses ceux qui s’apprêtent à se lancer dans le vide. Ils suspendent le mouvement des pères sur le point d’égorger leurs fils. Ils se penchent sur des épaules dans des bibliothèques. Ils sillonnent le ciel et se foutent bien de passer ou de ne pas passer près de nous quand on n’a rien à dire. Ils s’occupent de la détresse et du savoir, du sens de nos vies et de ce qui les nourrit par l’intérieur, pas de small talk.

Extrait de Ma Ralentie, recueil de prose poétique appuyé sur Henri Michaux, inédit.