Le monde se vengeait.

A l’aveuglette, on ne sait d’où les coups pleuvent mais ils pleuvent. La pluie pleut aussi, mais les coups eux, personne ne les voit – sauf toi. On pensait qu’en avançant tout droit on ne pouvait pas se perdre et paf dans les jambes, en fait il valait mieux faire un détour, ne pas s’écorcher dans les ronces, ne pas se noyer dans le fleuve en furie, ne pas escalader la montagne quand la route du col est ouverte – elle serpente, bien sûr, mais tant pis. Fallait-il accepter que la vie serpente ? On ne savait pas que la vie serpentait. On ne savait pas qu’il fallait accepter. Il fallait déjà comprendre, avant d’accepter. Il fallait déjà comprendre qu’on ne décide pas tout, que notre pouvoir est limité. Vraiment ? Et si on était animée par la volonté d’aller tout droit ? Cela ne signifie pas de foncer dans les murs, d’écraser les autres comme de vieux pneus. Non ! Simplement aller, tout droit, à son rythme, par simplicité, laissant les bras cueillir l’alchémille, emprunter des livres, déposer des baisers sur des bouches, sans s’arrêter pourtant, tout droit, toujours tout droit. Ah non ? Pourquoi est-ce que ça ne fonctionne pas ? Pourquoi devrait-on croire les oiseaux de malheur ? Pourquoi ferait-on des enfants pour de mauvaises raisons ? Quelles seraient les mauvaises raisons de faire des enfants ? Serpentez ! Serpentez ! Arrêtez d’aller comme ça tout droit, c’est insupportable ! Arrêtez-vous et marchez au pas du serpent ! Arrêtez de poser des questions ! N’adoptez que la courbe, la boucle, ce qui coulisse et serre bien au collet ! Ne traversez aucune route, aucun cours d’eau, nul cercle de feu ! Si vous osiez poser le pied sur la ligne, couper les droites des cartographes, malheur à vous ! N’ayez pas le front de traverser le champ, passer par-dessus la voie ferrée, vous trouver à découvert, vers les sommets, nus. Couvrez-vous de feuilles, d’herbes enduites, de branchages. Camouflez vos intentions, ne laissez dépasser nulle émotion. Grouillez comme les fourmis ! Industrieux, industrieuses, rappelez-vous que la droite ne vous vaut rien. Serpentez !

Extrait de Ma Ralentie, recueil de prose poétique appuyé sur Henri Michaux, inédit.