Dans l’ombre

Avant la représentation, durant la représentation, après la représentation, certains préparent ou effacent l’espace de l’illusion, dessinent la montagne pour que les personnages puissent la gravir, exécutent la perfection de la pluie, la véracité des paillettes, la danse des éclairages et des sons, tirent des guindes pour que les poids montent et descendent, ayant calculé l’effet de ces poids et mesures. Premiers et derniers sur les lieux, sentinelles. Ils préparent. Ils prévoient. Ils calculent. Ils portent. Ils vissent. Ils estiment. Ils vérifient. Ils chargent. Ils déchargent. Ils mesurent. Ils écoutent. Ils rigolent. Ils fument. Ils ne fument pas. Ils dorment peu. Ils ont vu tous les spectacles. En eux la mémoire de la maison, les échos des mots et des notes. Ils portent le théâtre sur leurs épaules comme Atlas le globe terrestre. Ils voient peu la lumière du jour. Ils ont des acouphènes. Ils ont mal au dos. Ils ont leur jargon. Ils construisent. Ils peignent. Ils découpent. Ils projettent. Ils sont au taquet. Ils font des heures sup. Ils permettent le rêve. Ils portent des tee-shirts noirs. Ils parlent dans un micro. Ils grimpent sur des échelles. Ils disparaissent en régie. Ils se tiennent debout en coulisses. Ils réagissent à des « top ». Ils préparent de la fumée. Ils ouvrent des portes. Ils préparent des artifices. Ils cuisinent. Ils dévissent. Ils s’interpellent au lointain. Ils montent sur un pont. Ils passent le balai. Ils rangent les outils ou ne les rangent pas (mais où est la clé de treize ?). Ils prennent un café. Ils écrivent des mails. Ils parlent politique. Ils font des blagues. Ils crient : attention noir plateau. Ils répondent. Ils ouvrent les portes. Ils règlent le volume. Ils gèrent l’intensité. Ils changent des ampoules. Ils ajoutent un câble. Ils fixent un moniteur. Ils rénovent une loge. Ils réparent une fuite d’eau. Ils trouvent des réponses. Ils verrouillent une porte. Ils poncent. Ils jaugent une implantation. Ils vérifient des dates. Ils négocient. Ils prêtent du matériel – ou pas. Ils consultent leur téléphone. Ils reçoivent un paquet. Ils sont toujours là. Parfois ils ne disent rien. Ils n’en pensent pas moins.

Odile Cornuz, semaine du 18 avril 2016