Cachalot

Dehors, un immense cachalot blanc est peint sur un des longs containers posés au coin du terrain vague devant le théâtre. J’aime les cachalots et j’aime les terrains vagues. L’immense cétacé des profondeurs, chasseur redoutable et redouté, découvre une dentition enviable. De son corps tout en contraste bleu nuit et blanc, on dirait que l’écume vient lécher les flancs. Son œil est aussi fixe que celui de Moby Dick. On croirait voir surgir Achab, sur le toit du théâtre, pointant sa jambe de bois vers le monstre blanc pour hurler à ses hommes de souquer ferme, à ses harponniers de faire leur boulot et vite et bien et que ce soir brûlera la graisse sur le pont du navire… Mais non – Melville ne nous a pas encore rendu visite. Son histoire n’a pas encore trempé les planches de ce théâtre dans le sel et le sang. Un jour, qui sait ? Il faut porter attention aux signes. Ce n’est pas impunément qu’un cachalot vient s’échouer à la porte d’un théâtre.

Ce soir aura lieu la première représentation de La Visite de la vieille dame à Bogota – à des milliers de kilomètres, des centaines de tonnes de mètres cube d’eau, des dizaines de cachalots plus loin – le théâtre continue, comme une fête.

Odile Cornuz, semaine du 21 mars 2016