Ay ay ay

Quand on vous dit Colombie

Qu’est-ce qui surgit en vous ?

Pour moi ça déborde en permanence

Comme dans les livres de García Marquez

Oui ça déborde en permanence

Avec un vent à déplumer les condors

Avec des monceaux de boue ensevelissant la ville sous vos yeux

Avec des rues pavées de visages méconnaissables

Avec des centaures à la tête d’une armée de morts innocents

Avec des échappées dans un ciel extraordinairement bleu

Ça déborde en permanence parce que la musique ne s’arrête jamais

 

Cette musique file dans les sifflements aigus des villes

Cette musique s’aiguise dans la voix des femmes et des enfants

Cette musique déborde dans la nuit et envahit l’espace-temps

Elle dicte le rythme

Elle impose sa loi

Elle enivre corps et esprits

Elle fait oublier les soucis

Les deuils et les humiliations

Puis accélère la cadence

Faisant frémir bras et jambes

Pieds et mains

Bouches et orteils

Sans distinction

Jusqu’à ce que ça brille partout

De joie et d’excitation

Que ça brille tout seul

Puis explose

Ay ay ay !

 

Tout à coup c’est la forêt

Immense

S’impose le respect des éléments

Et le silence se suspend

Vastes étendues

Vertes nuances

Certaines feuilles luisantes

D’autres embrouillées de fils soyeux

Des parfums forts de chairs humaines

Des racines amoureuses anarchiques

Au-dessus de quoi tout se détend

Pour que vous soyez feuille et ciel

Amour et racine

Guépard et chasseur

Fleuve et mangrove

Pluie qui tombe sur la feuille

Araignée tout juste éclose

Simultanément

 

Et dans ce grand tout vous avez le choix

De déborder immédiatement

Ou plus tard avec le temps

Cent ans peut-être

Mais un jour tout autant

Dans un tableau de Botero

Ou avant – bien avant

Au temps des Chibchas

Des Muiscas ou Tayronas

Quand l’or éclatait autrement

Ou encore au hasard dans les bras de Bolivar

Ou même dans les yeux d’Omayra Sanchez implorant

Vous avez le choix de l’histoire et des débordements

 

Métissages et nerfs à vifs

Fleuves de sang

Impétueuse beauté

Mais pas seulement

La nature omniprésente crie

A celui qui est perdu

Ne reste que la langue

Ay ay ay !

C’est déjà beaucoup

Et qu’en faire pourtant ?

 

Odile Cornuz, octobre 2017